Lettre ouverte d’un architecte aux maîtres d’ouvrages publics

« à propos des concours et de l'absence de prix, primes , indemnités............»

-Le nouveau code des marchés publics , institué par le Décret Présidentiel 10-236 du 07 octobre 2010, instaure les procédures de sélection du cocontractant et définit les modes de passation des marchés publics. L'article 28 énonce les formes d'appel d'offres et la forme du concours ,édictée à l'article 34 , « le concours est la procédure de mise en concurrence d'hommes de l'art en vue de la réalisation d'une opération comportant des aspects techniques, économiques, esthétiques ou artistiques particuliers ».

-Le concours peut être organisé dans des domaines variés tels que l'architecture ou l'ingénierie du bâtiment mais aussi le projet urbain et l'urbanisme.

-Aussi, le maitre d'ouvrage public, lors d'un concours et après avis d'un jury, est appelé à choisir un projet parmi les propositions de plusieurs concurrents préalablement sélectionnés en vue de l'attribution d'un marché d'études ou de maitrise d'œuvre.

-L'obligation pour le maitre de l'ouvrage, d'organiser le concours n'existe pas de manière explicite, mais elle peut être perçue de manière implicite, dans le « code des marchés publics ».Les décrets présidentiels précédents de 2002, 2003 et 2008, portant sur les marchés publics n'avaient pas apporté plus de précision ni de détails pour le réglementer. Dans le dernier DP en date du 07.10.2010 , le législateur a enfin apporté de « l'eau au moulin » en précisant un peu plus la définition du concours ,pour le replacer dans le contexte de l'offre de prestation intellectuelle ,distincte de celle d'un produit marchand et de celle des prestations de travaux. Encore faut-il que les obligations du concours soient affirmées par rapport à des seuils des couts de la maitrise d'œuvre et des indemnités conséquentes des concurrents, pour que la maitrise d'ouvrage s'engage à les édicter lors de la consultation et à les mettre en œuvre après les résultats de cette dernière.

Pourquoi alors ne pas rendre obligatoire le concours, à partir de certains seuils financiers tenant compte de la classe de complexité de l'ouvrage, de sa portée sociale et de la possibilité financière de son organisation par le maitre de l'ouvrage ?

Il est toujours possible d'organiser un concours en dessous de ces seuils ou dans certains cas dérogatoires, lorsque le maître d'ouvrage le juge opportun, dispose du financement nécessaire, et lorsque l'enjeu architectural, technique, urbain ou paysager nécessite un débat autour de plusieurs solutions.

Le constat est là, aucun texte d'application, n'ayant été décrété pour clarifier et détailler la procédure du concours. Les maitres d'ouvrages publics paraient à cette situation par ce qui est appelé « l'instruction aux soumissionnaires » élaborée suivant un modèle type ,au gré et à la convenance du contractant, qui se préoccupe avant tout, d'édicter des obligations au soumissionnaire (léonines parfois et sans contrepartie financière ,comme par exemple suivi en « double ou triple brigade » ,honoraires de suivi en homme/jour. en lieu et place d'homme/mois....) dans le but évident de couvrir et de satisfaire l'autorité du maitre de l'ouvrage envers l'investissement public, ce qui n'est pas contestable dans le fond ,mais appelle à un juste dialogue équitable avec le cocontractant dans la forme. L'instruction aux soumissionnaires, redéfinie, redevient actuellement à juste titre ,dans le dernier DP,«le règlement du concours » qui aura besoin d'être précisé par un décret d'application.

A la lecture du contenu des cahiers des charges de l'appel d'offres et de la consultation pour le concours, le contractant s'avére être souvent distant des préoccupations et de l'intérêt de la partie candidate à la consultation.

En effet, faute des insuffisances révélées par :

 

  • l'indigence de la documentation des données physiques et règlementaires (inexistence de relevé topographique et /ou cadastral du terrain, de rapport préliminaire de sol, de plan des VRD et des servitudes,..)
  • l'absence d'orientation en matière d'exigences fonctionnelles, d'objectifs de qualité architecturale et urbanistique, d'insertion et de protection de l'environnement, relatives à la réalisation et à l'utilisation de l'ouvrage,
  • l'absence de données sur l'enveloppe financière prévisionnelle allouée à l'opération, notamment la partie affectée aux travaux,
  • l'absence de données sur les objectifs de délais de réalisation de l'opération,
  • l'absence de précisions sur la composante et la qualité des membres du jury,
  • la confusion entre les missions de la commission technique d'évaluation, quand elle est instaurée, et celles du jury, quand ce dernier existe, par la faute d'un règlement de concours imprécis,
  • l'absence d'un règlement du concours qui définisse et précise la désignation et la représentativité équitable (au tiers ou aux deux tiers) de membres es-qualité (maitres d'œuvre de compétence équivalente à celle des concurrents) et indépendants au sein du jury. Car souvent les membres désignés, en plus de leur non qualification (ni habilités pour l'exercice de la profession d'architecte, règlementée, ni de niveau d'expérience équivalente), sont incompétents. Ce qui aboutit à des aberrations de jugements (préjugés), nées de la méconnaissance du Code des Devoirs Professionnels, en l'occurrence celui des architectes, qui régit la profession de ces derniers, d'où la nécessité de formation préalable de l'architecte juré et des autres membres afin de crédibiliser le Jury ;
  • l'absence quasi-totale de prix, de primes ,d'indemnisations ni d'attestation honorifique, pour les concurrents classés,

 

le candidat au concours ,doit prendre son mal en patience et se préparer à effectuer, dans un temps relativement très court ,compte tenu des délais souvent très insuffisants de la consultation, un véritable « parcours du combattant » pour collecter les renseignements et les documents nécessaires à son imprégnation dans le projet et à son appropriation des données du programme et des besoins du maitre de l'ouvrage afin de les traduire par une proposition adéquate.

-L'ensemble des démarches entreprises par le candidat pour concourir, nécessitent en plus d'un temps incompressible, des dépenses toutes autant inévitables, qui souvent sont appréhendées par les jeunes et moins jeunes architectes, car à partir d'un certain seuil financier , elles deviennent insurmontables et éloignent ces derniers injustement du champ des concours, même quand il s'agit de projets de faible ou de moyenne complexité. Qu'en est-il alors, des projets plus complexes, la mission devient alors impossible ! Aucune obligation de contrepartie financière, à titre de primes, de prix ou autres indemnités, pour les frais des prestations intellectuelles et matérielles engagées par le concurrent classé, n'est décrétée nulle part, dans aucun texte.

L'article 34, alinéa 10,du nouveau DP énonce « le service contractant peut verser des primes au(x) lauréat(s) du concours ,conformément aux propositions du Jury, selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre chargé des finances et du ministre concerné »,l'alinéa 11 continue « la liste des projets qui doivent faire l'objet d'un concours est déterminée, pour chaque secteur, par arrêté du ministre ou du wali concerné ».

La liste des projets avec des seuils de cout des ouvrages et des montants des prix ou primes, est souhaitable et fortement attendue de façon imminente, par l'ensemble des architectes et maitres d'œuvre candidats qui ont besoin de faire leurs comptes pour se préparer sereinement au concours.

-Le concours, quelque soit le niveau de rendu demandé par le maitre de l'ouvrage, nécessite, répétons-le, en plus de la ressource humaine, des moyens financiers à la hauteur des objectifs attendus. Le concurrent met en œuvre, à l'occasion, un travail de conception à la mesure des moyens mobilisés, et mise en même temps sur son aboutissement dans le meilleur des cas, où il est retenu, ou dans les autres cas, quand il est classé, sur une reconnaissance et/ou une prime à titre de participation et à même de compenser les dépenses (salariales, matérielles) engagées lors de la consultation.

-Afin de créer une émulation positive au sein du corps des architectes appelés à concourir pour le compte des maitres d'ouvrages publics, ces derniers devront inscrire parmi leurs objectifs de réussite de la consultation pour le projet architectural, celui tenant au paramètre financier de la prime aux concurrents.

-Ce sera, d'abord la preuve affirmée de leur bonne considération pour la prestation intellectuelle fournie par les concurrents et de la sanction exemplaire pour le travail demandé à l'architecte, pour que ce dernier éprouve une satisfaction morale,professionnelle et matérielle en même temps. Aussi le dialogue entrepris et entretenu par les maitres d'ouvrages représentant la personne et les institutions publiques, saura être la satisfaction de leur contribution effective à l'obligation de résultat (réussite) ainsi qu'à l'émergence de la qualité du projet, et sera un gage important pour la garantie du bon usage des deniers publics et de la réalisation d'un investissement durable.

-Alors pourquoi le concours n'est-il pas institué en Algérie par des textes règlementaires publics et publiés au Journal Officiel, dans le respect des règles universelles en la matière, et pourquoi n'est-il jamais primé ? Une question « deux en un » pertinente à laquelle la personne publique (législateur, élus, maitres d'ouvrage publics ou leurs mandataires) se doit d'y répondre, car il y va, en premier lieu, de la crédibilité du mode du concours, et ensuite de l'expression de sa volonté à l'incitation, à la performance et à l'intéressement permanent des architectes à la créativité et à l'innovation ,ainsi qu'à la recherche perpétuelle de la qualité de la conception de l'œuvre et de celle des ouvrages réalisés, dans l'esprit et le respect des dispositions du Décret Législatif 94-07 du 18.05.1994 ,relatif à la production architecturale et à l'exercice de la profession d'architecte .

-Des réponses idoines doivent être apportées sans tarder, par les institutions étatiques et les maitres d'ouvrages publics en associant l'Ordre des Architectes ,qui rappelons-le est un organisme public ,institué par le DL 94-07 ,partenaire institutionnel de premier ordre dans la production architecturale et qui contrôle et régule l'exercice de la profession d'architecte, ainsi que les associations professionnelles regroupant les corps des Ingénieurs, celles des personnes qualifiées en architecture et urbanisme, celles des conseils et expertises, dans le sens de l'institution et de la satisfaction du concours comme mode privilégié de passation de marchés publics de maitrise d'œuvre, où le projet architectural ou urbain ,sera reconnu et sanctionné à sa juste valeur technique et artistique .

-L'on ne pourra pas invoquer des motifs de mode opératoire ni des facteurs financiers, ces derniers sont déjà pensés et inscrits en amont dans la phase programmatique et pris en charge par le principe même de la dépense globale du projet public, dans la rubrique pré-opérationnelle de financement, à l'instar des rubriques financières de l'investissement (études ,construction, équipements....).

-Pour cela un Décret ainsi que ses textes d'application, sont tous indiqués en vue de satisfaire la qualité du produit de la conception et de la maitrise d'œuvre, compte tenu de la qualification de l'architecture par la loi, comme « d'intérêt public », et de l'importance du sujet de l'architecture comme facteur de développement et de civilisation.

par Bali Saïd architecte dplg - Pdt de la Délégation de Wilaya de Tlemcen de l'Ordre des Architectes.